Quelle formation en épistémologie pour les futurs enseignants ?

« Quelle formation en épistémologie pour les futurs enseignants ?  »

Séminaire de la commission Histoire, épistémologie et didactique de la géographie »

Jeudi 18 mars 2021 14h à 16h

L’enseignement de l’épistémologie de la géographie figure dans les attendus du CAPES et dans les maquettes de Master MEEF depuis le début des années 2010. Il s’agit moins de transmettre une érudition encyclopédique que de rendre capables les futurs enseignants de penser l’enseignement de savoirs disciplinaires. L’enjeu est d’autant plus fort qu’une grande majorité des lauréats du concours sont historiens de formation (90% des lauréats actuels du CAPES d’histoire géographie). Quelle formation épistémologique proposée pour de futurs enseignants ? Quels contenus ? Quel volume horaire ? Quelles démarches déployées pour amener les étudiants à un regard distancié et critique concernant/vis-à-vis de la construction et de la transmission de savoirs géographiques, dans le contexte actuel de l’enseignement secondaire? ».

Ce séminaire était organisé autour des présentations de Camille Vergnaud et Laura Péaud de l’université de Grenoble et Valérie Deligniers de l’université de Rennes qui ont mises en débat ensuite.

 

Laura Péaud et Camille Vergnaud, enseignantes-chercheures, Université de Grenoble Alpes – Replay ici.

Pour les étudiant.es qui se destinent à l’enseignement de l’histoire et de la géographie, se former à l’histoire et à l’épistémologie de ces deux disciplines apparaît comme une étape essentielle de leur formation. D’une part, dans la mesure où les dernières réformes des Masters MEEF ancrent une exigence de réflexivité au cœur même des concours (épreuve d’ASP par exemple). D’autre part, parce que dans leur future mission professionnelle, ils.elles auront également à transmettre à leurs élèves un esprit critique, leur permettant à leur tour de s’interroger sur la construction et la véracité des savoirs scientifiques. Cette présentation vise ainsi à interroger la façon dont deux enseignantes-chercheures s’emparent dans leurs pratiques enseignantes, en traduisant sous forme de cours et de dispositifs pédagogiques des réflexions menées depuis leurs postures de recherche. Durant cette séance, nous nous proposons de discuter des enjeux de l’enseignement de l’épistémologie de la géographie auprès de deux publics : des L3 Histoire, dont une majorité aspire à devenir enseignant.es, et des M1 MEEF engagé.es dans la préparation du concours. Notre contribution s’appuiera sur des réflexions théoriques, mais aussi sur la présentation des contenus, formats et modalités pratiques de cours proposés à ces étudiant.es, que nous avons pensés à quatre mains et deux têtes.

 

Valérie Deligniers, enseignante-chercheure, université de Rennes – Replay ici.

L’enfant, l’espace et la géographie au premier degré

La construction du concept d’espace est un acquis indispensable pour tout élève et un préambule nécessaire à la géographie, identifiée officiellement à partir du cycle 3. Ce processus s’appuie à la fois sur les connaissances liées à l’évolution du développement psychologique de l’enfant et des savoirs géographiques. Ces apports scientifiques combinés permettent de proposer des contenus de programme faisant lien et donnant sens aux apprentissages. L’expérimentation, l’observation et le questionnement donneront à l’élève une clé de lecture et de compréhension du monde, en prenant appui d’abord sur son espace proche et personnel afin d’en faire un « être spatialisé » et un « habitant » éclairé, ensuite sur « l’ailleurs » en exerçant approche multiscalaire, décentration et éveil à la curiosité et à l’altérité. Ainsi, expériences et identité géographiques se forgeront progressivement en oscillant entre une géographie « spontanée », concrète, de terrain et une géographie plus « académique », mise en perspective et en lien avec les grands enjeux sociétaux contemporains, communs à d’autres disciplines.

 

Discussion :

A l’issue des deux présentations, la discussion s’est engagée avec les participants du séminaire. Le présent CR présente de manière synthétique les points saillants de la discussion.

Contexte institutionnel du cours : Pour enseigner la production matérielle des savoirs, il faut aussi s’interroger sur les conditions institutionnelles et matérielles qui façonnent nos cours (contenus, horaires, évaluation, etc.), y compris les maquettes. Cela implique de réfléchir aux articulations avec les stages dans les établissements scolaires que font les étudiants. Il y aussi des ponts à construire avec l’épistémologie de l’histoire qui pourrait être un levier pour entrer dans l’apprentissage de l’épistémologie en géographie. Les étudiants de L3 n’ont souvent pas eu d’épistémologie dans leur parcours.

La forme universitaire est problématique car en formation d’enseignant, cela peut générer des contradictions entre un discours magistral et l’injonction faite aux étudiants d’adopter des pédagogies actives. Par ailleurs, les pratiques innovantes peuvent rentrer en contradiction avec l’identité professionnelle des enseignants universitaires.

Quand les étudiants apprennent-ils à lire des articles scientifiques ? Que peuvent-ils faire du travail du chercheur ? Laura Péaud a constaté que les étudiants ne savent pas lire des articles scientifiques. Elle a proposé de travailler cela en cours de méthodologie. Elle a découpé un article que les étudiants ont du remettre dans l’ordre ce qui leur a permis de questionner l’écriture d’un article scientifique :  qu’est-ce qu’une introduction ? Qu’est ce qu’une méthodologie etc ?  etc. L’évaluation de ce type d’apprentissage pose problème.

Est-ce qu’amener les étudiants à l’épistémologie ne nécessite pas de bousculer les étudiants ? Est-ce que ce que les étudiants ont compris fait sens une fois sur le terrain ? Les deux présentations mettent en avant une même quête : celle de déclencher un déclic épistémologique pour modifier le rapport des étudiants au savoir. Valérie Delignière a témoigné que les étudiants reviennent de stage en soulignant le décalage entre la géographie telle qu’elle est enseignée sur le terrain d’une part et les programmes actuels d’autre part. Les manuels dans les écoles sont parfois très anciens et présentent une acception traditionnelle de la géographie. Cette situation met en porte-à-faux les étudiants et soulève la question de savoir quelle empreinte laisse un cours d’épistémologie sur les pratiques enseignants des étudiants en stage ou plus tard dans leur vie professionnelle. A ce titre, le fait de simuler un colloque (séance 1 de la progression MEED M1 SD) pourrait permettre aux étudiants de s’approprier la parole de géographes, et se projeter un peu plus comme enseignants de géographie.

Il y a un intérêt à rentrer par des questions épistémologiques plutôt que par l’histoire de la géographie. Cela permet de repolitiser le savoir géographique. L’intérêt est que les étudiants interrogent ensuite les savoirs avec leurs élèves.

Les deux présentations rejoignent les travaux menés sur la géographie expérientielle développée dans le monde anglo-saxon et en France dans les travaux du groupe Pensée spatiale sous l’égide de Caroline Leininger-Frézal.