Commission Géographie historique
La complémentarité de l’histoire et de la géographie
La complémentarité de l’histoire et de la géographie constitue non seulement une permanence de l’enseignement, mais plus généralement de la culture française. L’on sait que depuis la fin des Temps modernes, les deux disciplines ont joué un rôle important dans la formation des élites, la représentation et la consolidation du territoire politique, la construction de l’Etat-nation. La géographie historique, dont les origines semblent remonter au XVIe siècle, est une pratique scientifique particulière qui, tout en traduisant et en exprimant cette complémentarité, développe des perspectives propres. Elle est constitutive de l’école française de géographie : malgré un certain déficit d’image aujourd’hui, dont les origines sont complexes, rares ont été les plus grands géographes de cette école qui n’ont pas peu ou prou été des géographes historiens, depuis la fin du XIXe siècle.
Intégrant l’espace et le temps, la géographie historique inclut aujourd’hui ou participe de démarches diverses, dont certaines proviennent de disciplines extérieures à la géographie et à l’histoire. Le concept de « géoarchéologie », développé par des archéologues de l’Antiquité romaine, s’intéresse à l’histoire des territoires, principalement ruraux, et sur la longue durée. Une géographie historique proche de l’ethnologie étudie des types et modes d’organisation de l’espace dans le temps, mais plutôt à partir de faits ou de situations contemporains. Dans certains thèmes de recherche particuliers, étudiés par plusieurs disciplines, l’espace est intrinsèquement lié au temps : l’histoire des forêts et l’aménagement forestier en est un bon exemple. En outre, certaines institutions dont le rôle est d’ « investir » l’espace dans des buts déterminés, comme l’institution militaire, portent des représentations de l’espace et du temps qui peuvent intéresser le chercheur. Enfin, sans toujours revendiquer explicitement une démarche de géographie historique, certains savants poursuivent une interrogation sur les grands phénomènes de peuplement et de civilisations, qui est présente dès le début de l’école de géographie française.
L’évolution récente de nos sociétés, obligées de respecter de nouvelles normes juridiques dans l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, comme dans le domaine de l’environnement, offre parfois aussi de nouveaux champs d’études à la géographie historique. Ainsi, le « développement durable » signifie parfois la réinvention ou la « réappropriation » d’usages et de pratiques liées à des utilisations anciennes de ressources et recours locaux, à propos desquelles le géographe historien, comme l’ethnologue, peut rencontrer l’aménageur. De même, les thèmes du « patrimoine » et de « patrimonialisation », en ce qu’ils contiennent souvent une interprétation et une réification (entre autres) de bâtiments, de lieux, d’espaces, et de pratiques, nés dans un contexte différent de celui où on les intègre ou tente de les intégrer aujourd’hui, sont des thèmes de géographie historique. Celle-ci peut donc contribuer plus que jamais à donner le « bon espace » entre le présent et le passé.
Par Philippe Boulanger, ancien responsable de la commission de géographie historique
Nicola Todorov, Université de Guyane, nicola.todorov@wanadoo.fr | |
Xavier Rochel, U. Lorraine, xavier.rochel@univ-lorraine.fr |